Brouillon autographe d’une réponse de Saint-Pol-Roux, demeurée inédite, à la critique du Magnificisme signée Gaston et Jules Couturat. 1 page (20 x 29,7 cm).
Les 17 et 18 juin 1891, L’Écho de Paris avait publié la longue lettre-manifeste du poète, réponse à l’Enquête sur l’évolution littéraire menée par Jules Huret. Intitulée “L’âge de diamant”, Saint-Pol-Roux, après avoir pointé les impasses des écoles l’ayant précédé — symbolisme y compris — y annonçait l’avènement du Magnificisme, signant son épistole “Saint-Pol-Roux le Magnifique”. Le mois suivant, Gaston Moreilhon et George Bonnamour (1866-1954), sous le pseudonyme de Gaston et Jules Couturat, faisaient paraître en tête du n° 57 de La Revue indépendante dont ils étaient deux des principaux rédacteurs, une violente critique des contributions symbolistes à l’Enquête de Jules Huret, concluant au “fiasco symboliste”. Saint-Pol-Roux y était naturellement vertement tancé et moqué :
M. SAINT-POL ROUX LE MAGNIFIQUE – Ici nous touchons au grotesque. Le MAGNIFICISME inventé par M. Saint-Pol-Roux dans une lettre publiée par l’Écho de Paris, curieuse à étudier pour qui veut remonter de la tumultueuse incohérence des phrases aux fêlures des cerveaux qui les pensa, le magnificisme n’est autre chose qu’un métaphorisme excessif, un métaphorisme non d’idées, hélas ! ce qui serait curieux, mais de mots, ce qui est banal, à la portée de tous et d’une puérilité qui désarme. C’est de la fantaisie de méridional, de la fantaisie ivre et déchaînée, sonore mais vide. Cela d’ailleurs, était nécessaire, car sans cela, M. Saint-Pol-Roux n’eût plus été dans la tradition de l’école symboliste.
Les lignes reproduites ci-dessous furent certainement rédigées au brouillon par le poète peu après la lecture du “fiasco symboliste”, sans aboutir à l’article ou au “droit de réponse” qu’elles semblaient préparer.
Réponse à la critique par Gaston et Jules Couturat du Magnificisme (juillet-août 1891) [brouillon autographe] – © Coll. Mikaël Lugan
Ah ! on ne s’aime pas dans la Jeune Littérature.
Se lève un tas de vipères
Je lisais l’article de J. et Gaston[1] — Ah ! Dame ! ils doivent [être] rudement forts pour dauber ainsi.
En littérature il y a les Sexes et les Morpions
Vous êtes
Vous blaguez les Sarcey et les Fouquier[2]. Nous devons plutôt rendre hommage à leur bête entêtement. Ils sont de leur temps. Ils se cramponnent à leurs idées dans le naufrage des ans et ils jappent après nous qui les poussons au cimetière. En philosophie cela se classe dans les Instincts et cela s’appelle l’ins Celui de la Conservation…
Vous me blâmez [lecture incertaine] pour avoir signé le Magn[ifique], mais garçons [lecture incertaine] naïfs c’est l’épithète qui vous épate, si au lieu du Magnificisme, ça avait été le symphonisme, le colorisme romanisme, l’orphéonisme ; X vous eussiez trouvé tout naturel que je signe le symphoniste ou le roman — mais le Magnifique, êtes-vous assez de votre village. Le Songe d’une nuit d’hiver[3] est signé G. et J. Couturat les Funambules ou si vous préférez : de l’École des Funambules.
Moi Eh bien vous savez, vous signez / ces messieurs signeraient Jules et Ga[ston] Couturat les Morpions, que je trouverai ça pas du tout ridicule.
Saint-Pol-Roux.
X On me reproche d’avoir signé pour la première et la d l’unique fois mon mani le Magnifique mon manifeste. Je n’ai pas à m’excuser de cela. Je ne regrette qu’une chose c’est de n’ que le caractère d’une lettre et que l’exiguïté … ne me permissent pas de donner un manifeste plus complet.
Je n’ai nul orgueil de ces pages hâtivement écrites ; toutefois je souh je crois qu’il eut été à souhaiter que les autres en aient dit autant que moi.
Voilà des gens qui engueulent les symbolistes. Ouvrez leur livre : C’est un ramassis de tous les jeunes. Aucune originalité, des lieux communs, des formes assimilations de Régnier Verlaine, de Mérat, de Coppée, de Régnier[,] de Béranger Moréas et de Burani[4].
[1] Gaston et Jules Couturat, « Le fiasco symboliste », Revue indépendante, t. XX, n° 57, juillet 1891, p. 1-28. Le passage consacré au Magnificisme se trouve p. 18-19.
[2] Francisque Sarcey (1827-1899) et Henry Fouquier, dit Nestor (1838-1901), journalistes et critiques influents. À cette date, le premier signait des chroniques dans La France et Le XIXe siècle, et le second œuvrait à L’Écho de Paris. Ils furent les bêtes noires de la jeunesse symboliste.
[3] Gaston et Jules Couturat, A winter night’s dream (Le Songe d’une nuit d’hiver), Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1890. Les auteurs de ce « poème lunatique » s’étaient revendiqués « de l’École funambulesque ».
[4] Aux parnassiens — Paul Verlaine, Albert Mérat, François Coppée — et aux poètes de la génération symboliste — Jean Moréas et Henri de Régnier — Saint-Pol-Roux associe curieusement le nom du prodigue librettiste Paul Burani (1843-1901).
Loin d’entrer publiquement dans la polémique et de répondre, par revues interposées, aux attaques visant à ridiculiser ses théories — car il y en aura d’autres —, Saint-Pol-Roux lancera dans le Mercure de France n° 22 d’octobre 1891 un appel à l’apaisement ; mais son article “La Gent irritable : La Trêve” ne sera guère entendu.