Photographie de Saint-Pol-Roux, en costume, sur le quai de Camaret-sur-Mer en 1932. Tirage noir et blanc (15 x 10 cm) non signé. Provenance : don René Rougerie.
Ce cliché fut probablement pris lors de la cérémonie organisée à l’Hôtel de France, le 4 septembre 1932, par diverses personnalités camarétoises pour fêter la légion d’honneur décernée au poète le 14 juillet précédent.
Photographie de Saint-Pol-Roux sur le quai de Camaret (1932) – © Archives municipales de Camaret-sur-Mer [don René Rougerie]
La Dépêche de Brest publia, dans son édition du 6 septembre, une photographie du poète posant avec son ami Charles Daniélou, député du Finistère.
Saint-Pol-Roux et Charles Daniélou – La Dépêche de Brest (6 septembre 1932, p. 1)
L’ancien ministre prononça à cette occasion un beau discours d’hommage que nous reproduisons ci-dessous :
Mon cher maître,
En admirant votre œuvre et en saluant votre effort, je veux avant tout souligner le caractère exemplaire de votre vie.
Né poète — qui en douterait, car tout en vous rayonne la poésie — vous avez abordé le pays enchanteur des Muses en des temps particulièrement difficiles.
Hugo remplissait le monde de toute la richesse de son génie innombrable. Au milieu des échos qui répétaient ses chants du ciel à la terre, de la mer aux forêts et des siècles aux siècles, il semblait qu’aucune autre voix de poète ne pouvait plus se faire entendre.
Après le romantisme dont il était le chantre immortel, d’autres vinrent cependant qui, pour n’avoir pas une fécondité égale, firent sortir de la perfection de la forme, de l’éclat des images et du réalisme du sentiment ce noble Parnasse dont Leconte de Lisle et José Maria de Heredia étaient les plus prestigieux artisans.
À côté d’eux, Sully Prudhomme, dans une langue si pure que ses poèmes impressionnaient comme un marbre grec, Coppée avait des mots qui allaient au cœur des foules sensibles, Richepin, dont les strophes amères ou joyeuses prenaient aux entrailles les chemineaux des champs et des flots, avaient accaparé l’éternel besoin de l’homme de s’extérioriser dans un chant.
Et vous eûtes, Saint-Pol-Roux, l’audace de vous présenter sur une scène où les plus illustres avaient pris toutes les places ; et vous vîntes — avec un chant nouveau — sans souci d’être compris ou discuté. Vous vous jetâtes dans la bataille du Beau d’où vous sortiez vainqueur et dénommé le Magnifique.
Le temple de la gloire vous était dès lors ouvert. Il n’était plus pour vous que de vous conformer à ses rites avec ce qu’ils exigent de petites simagrées, de génuflexions officielles, de visites protocolaires qui sont la rançon de la publicité que le monde daigne accorder au génie.
Mais vous n’avez pas su, vous n’avez pas voulu — autre Léon Bloy — courber votre fierté devant les exigences des hommes. Vous avez fui leurs tréteaux, leurs salons et leurs chapelles et, en même temps, leurs encens et leurs honneurs.
Vous vous êtes réfugié à l’extrême bout de la terre, sur les rochers de Camaret, face à la mer Atlantique, et vous avez préféré la compagnie des rudes pêcheurs à celle des désœuvrés de la mondanité parisienne qui se croit seule capable de consacrer le talent.
La Douleur — en entrant dans votre maison — vous rendait plus chère encore votre solitude et donnait à votre voix des accents plus profonds. En vous séparant définitivement du monde, il semblait que vous dussiez en être à jamais oublié.
Mais la voix du poète ne peut pas ne pas être entendue. C’est une voix de la Nature — comme celle des vents et des flots. Malgré la distance, Paris même en recueillait des échos. N’entendait-il pas naguère les chants du solitaire de Guernesey qu’il avait cependant proscrit et dont le président Herriot vient, au cours d’un pieux pèlerinage, d’évoquer le laborieux exil ?
Exilé volontaire, vous non plus, vous n’avez pu être oublié ; et, malgré vous, l’hommage mérité est venu forcer votre porte. Elle vous était due cette croix d’honneur. Et c’est un surcroît de satisfaction pour nous qu’elle vous ait été attribuée par un grand-maître de l’Université qu’il y a vingt ans — un soir de tempête — j’accueillais dans ce port de Camaret et qui est un des esprits les plus fins que compte aujourd’hui — avec son chef — le gouvernement de la République.
Saint-Pol-Roux, cette croix, c’est surtout la croix des braves, vous est accordée comme une consécration. Mais votre vie fut celle d’un brave, dans votre modestie, dans votre courage et dans votre générosité que proclament à la fois les petits enfants et les vieux, tous les humbles pour qui vous demeurerez l’immortel Noël.
Noël ! Noël à vous ! chevalier Saint-Pol-Roux !
La Dépêche de Brest (5 septembre 1932, p. 3)