“Oraison” des Litanies de la mer (1926)

4 feuillets manuscrits comprenant : 1 feuillet manuscrit avec titre “LITANIES ET ORAISON” au crayon et ajouts à l’encre bleue de la main de Divine ; 3 feuillets manuscrits à l’encre noire, avec corrections au crayon et à l’encre rouge, de la main de Saint-Pol-Roux. Ces derniers, numérotés 5, 7 et 10, sont des fragments de la partie “Oraison” des Litanies de la mer (Synthèse légendaire des pêcheurs de Camaret), qui furent représentées à la pointe Saint-Mathieu, à l’occasion de l’inauguration du monument aux Marins morts pour la France, le 12 juin 1927. Feuillet 1 : 1 page (20 x 30 cm) ; feuillets 2 à 4 : 3 pages (24,5 x 33 cm). Provenance : don René Rougerie.

C’est dans l’immédiat après-guerre que Saint-Pol-Roux, engagé dans des expérimentations nouvelles, se lance dans l’écriture de poèmes symphoniques “pour orchestre vivant”, qu’il définira ainsi dans une conférence de 1925 :

L’Humanité parlant son drame quotidien — voilà la Toute Poésie de demain, et le Poète-Roi sera celui qui coordonnant ce cataclysme déchaîné des places du marché, des corbeilles de la Bourse, des âmes dans le Palais et dans le temple, des paradis et des enfers populaires, des nuits d’amour, des champs de bataille, des orages de la nature, aura su, par le rythme dûment maîtrisé, faire lever l’éternelle Harmonie.

Cette masse dramatique ou charmante d’émotions sonores agitant la terre de son rythme gigantesque et multiple, mes frères en la Beauté vraie, c’est le Verbe de demain, c’est la Poésie future.

Après plusieurs projets abandonnés, il trouve, à la fin de l’année 1925, le sujet qui lui permettra de donner forme à son ambition : les pêcheurs de Camaret. Il y travaille tout au long du premier semestre de l’année 1926. Après de fréquentes séances de répétition, il en dirige des extraits le 30 juin, à la salle d’auditions de la Société des Concerts Sangra (49, rue Émile Zola) de Brest, lors d’un récital qui lui est entièrement consacré.

À l’issue de ce premier essai, Saint-Pol-Roux se remet au travail et ajoute aux cinq parties déjà composées (Les Flots jasent, La Lame errante et le Vent d’est, Lame de fond, La Flottille passe, Les Litanies de la Mer) une nouvelle section “Oraison”, sans doute conçue pour servir d’ouverture à la “symphonie verbale”. Ce morceau se composera de 10 feuillets dont les trois, présentés ici, sont probablement des copies de travail. Le 12 juin 1927, le poète dirige son “orchestre vivant” de 250 récitants — tous bénévoles — à la pointe Saint-Mathieu.

Avec les Litanies de la mer, Saint-Pol-Roux s’était essayé à une audacieuse tentative de libérer la poésie du livre. Aboutissement d’une réflexion théorique, née après la Première Guerre mondiale, l’œuvre, qui faisait du “Maître de l’image” un Maître du Verbe, préludait à la Répoétique selon laquelle :

Les strophes deviendront visibles à l’instar des lames de l’Océan, on ne lira pas les poèmes, on les vivra, on leur passera au travers comme au travers de l’ouragan et de l’incendie, on les cueillera comme les fleurs et les fruits, on les possèdera comme des femmes, et l’on rira du temps où ces femmes, ces fruits, ces fleurs, enclos dans des livres, dormaient sous les poussières graduelles des bibliothèques.

René Rougerie a publié en 2010 le fac-simile d’un manuscrit de ce formidable poème, indispensable à la connaissance de l’évolution de la pensée idéoréaliste.

Bibliographie : Mikaël Lugan, “Les Litanies de la mer : la Répoétique en action”, Oeuvres & Critiques, vol. XLVIII, n° 2 “Poètes oubliés au début du XXe siècle”, novembre 2023, p. 95-109.