Photographie de Divine Saint-Pol-Roux enfant, accompagnée d’une chèvre blanche, probablement Korrigane, sur le terrain du Manoir ou la lande. L’auteur du cliché n’est pas identifié (ca 1906). Tirage noir et blanc sur papier (12 x 17 cm). Provenance : don René Rougerie.
Photographie : Divine et la chèvre Korrigane (ca 1906) – © Archives municipales de Camaret-sur-Mer [don René Rougerie]
Saint-Pol-Roux aimait les animaux. Le Manoir en fut peuplé ; ses œuvres aussi, dans lesquelles ils témoignent de la proximité du poète avec la nature, de son goût pour une vie primitive et ingénue. Familiers ou sauvages – qu’on pense à Thalassa et aux goélands de Divine – ils partagèrent son quotidien. Dans une lettre à André Antoine (23 février 1927), il rendait ainsi hommage à la chèvre Espérance qui venait de mourir : “Je viens de perdre Espérance, tu sais la belle chèvre vieil-argent qui depuis quinze ans était la gardienne du Manoir. […] Espérance était une Âme.”
Espérance avait succédé à une autre chèvre, Korrigane, dont le nom apparaît dans plusieurs textes du poète. Ainsi, son “Offrande à Divine” (Pâques 1936) nous apprend qu’elle était entrée dans la famille à Roscanvel et l’avait accompagnée jusqu’à Camaret :
Les sept ans révolus, quittant la Vieille en pleurs sous son penn-du d’ardoise, il nous fallut aller vers une autre demeure à tourelles, dans l’ouest.
De la chaumière sous les feuilles nous gagnâmes ce manoir au sommet d’un pays sans arbres. […]
La chèvre blanche Korrigane et notre chien Joris nous suivaient, eux et nous retournés çà et là vers les adieux aux détours du chemin.
On la retrouve tout naturellement au début de “La Dame en partance”, l’un des premiers textes écrits au Manoir (août 1905), parmi la ménagerie du poète annonçant l’inquiétant arrivée de la Dame :
Mes chiens, Joris, Moustache II, Javeline, Toulinguette, Boultous, hurlent à la mort tout autour du manoir qui subitement grelotte sous les bêlements de Providence la brebis et de la chèvre Korrigane, cependant que les pintades tocsinaillent sur la balustrade du perron, que les dindons vomissent leur angoisse de corail à travers les tamaris, et que les poules taquetoquetaquent à l’abri des cornes fléchoises du coq Mephisto ! (Les Féeries intérieures)
Saint-Pol-Roux mentionne encore son souvenir dans “Le Père-Noël à l’Hôtel Drouot”, texte annonçant la vente de ses meubles le 22 décembre 1920, que signa l’ami Jean Royère :
Voici enfin les deux glaces, d’ancien travail italien, dans la vétusté desquelles se mirait la chèvre Korrigane, qui entrait dans le hall en fée toute blanche, et le secrétaire en acajou, flanqué de colonnettes détachées, à bagues, où furent écrits tant de Reposoirs de la procession… Mais aussi des « poèmes populaires » qu’on lit, le soir, à la veillée, sous les toits de chaume ou d’ardoise du pays breton.
Refusant de dissocier sa vie et son œuvre, Saint-Pol-Roux avait rendu Korrigane presque célèbre. De sorte que le grand poète nicaraguayen Rubén Darío, rendant visite au poète en juillet 1907 et approchant du Manoir, la reconnaîtra sans jamais l’avoir vue auparavant :
Comme les livres du grand poète des Reposoirs de la procession m’étaient familiers, je reconnus dans la chèvre blanche que je vis à travers la clôture de fil de fer, Korrigane.
Sur l’importance de la présence animale dans l’œuvre de Saint-Pol-Roux, on consultera avec intérêt l’article de Sophie Gondolle : “Saint-Pol-Roux : esquisse d’un bestiaire”, in Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux n° 13-14, Singularités de Saint-Pol-Roux, septembre 2022, p. 177-205.