Lettre autographe signée d’Ephraïm Mikhaël (1866-1890) à Rodolphe Darzens (1865-1938), non datée mais probablement écrite à Paris à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet 1889. Ce mot accompagnait l’exemplaire du Bouc émissaire (Paris, Imprimerie de la Vie Moderne, 1889) que Saint-Pol-Roux — alors Saint-Paul Roux — avait confié à Mikhaël pour qu’il l’adressât, de sa part, à Darzens. Une page (14,6 x 20,2 cm) avec manques marginaux et aux coins.
Bouc émissaire (Paris, Imprimerie de la Vie Moderne, 1889) – © Coll. Mikaël Lugan
Ce rare document — les autographes de Mikhaël, mort à 24 ans, étant peu nombreux — réunit trois des quatre fondateurs de La Pléiade, petite revue fondée aux origines du Symbolisme, qui vécut (difficilement) 7 numéros, de mars à novembre 1886. En sus des problèmes financiers, des brouilles entre certains des collaborateurs fragilisèrent l’existence de la publication. On se souvient, par exemple, que, Roux (qui se prénommait encore à cette époque simplement Paul) ayant quitté Paris pour séjourner à Marseille à partir de la fin avril, sa maîtresse, Élisabeth Dayre, en profita pour devenir celle de Rodolphe Darzens. Les relations entre les deux hommes, naturellement, s’envenimèrent ; Darzens, offensé par une lettre de l’amant trompé, et bretteur aguerri, envoya ses témoins, René Ghil et Ephraïm Mikhaël, à Paul Roux. Ce dernier, s’étant excusé, le duel, finalement, n’eut pas lieu. Puis Elisabeth réintégra le domicile “conjugal” du 19, rue Turgot. On imagine que l’affaire laissa des traces et un certain ressentiment envers Darzens chez notre poète. La résurrection de La Pléiade, trois ans plus tard, lui fournit l’occasion d’indirectement l’exprimer. En effet, Louis Pilate de Brinn’Gaubast, le directeur de la nouvelle série, reçut à son tour les témoins de Darzens, qui n’avait pas accepté qu’on reprît sans son accord le titre de la revue qu’il avait dirigée. Le duel, cette fois-ci, eut bien lieu, le 24 avril 1889. Saint-Paul Roux servit, avec Edme Paz, de témoin à Brinn’Gaubast, qui, atteint à la cinquième reprise “au tendon extenseur du pouce droit”, dut s’incliner devant Darzens. On le voit, les relations entre les deux hommes restaient tendues, et la nouvelle infidélité d’Elisabeth, qui devait devenir Mme Gustave Kahn en novembre 1889, ne manqua sans doute pas de raviver l’animosité de Saint-Paul Roux envers celui qui, le premier, avait détourné de lui la femme qu’il aimait. On comprend alors sans difficulté que, lorsque le Bouc émissaire sortit de sous les presses de la Vie Moderne, le poète n’en offrît pas directement un exemplaire à Darzens, mais passât par l’ami commun, Mikhaël, pour lui transmettre sa plaquette dédicacée.
Lettre d’Ephraïm Mikhaël à Rodolphe Darzens (ca juin 1889) – © Coll. Mikaël Lugan
Mon cher Rodolphe
Voici un exemplaire du Bouc Emissaire que Roux m’a donné pour toi. Je te prie de m’excuser car voilà plusieurs jours que j’aurais dû faire la commission.
A toi.
E. Mikhaël
Nota : Nous savons que l’exemplaire était dédicacé grâce à la coupure d’une notice d’un catalogue non identifié, présentant, sous le n° 821, un exemplaire du Bouc émissaire : “Il a été tiré à 105 exemplaires, celui-ci sur Hollande. C’est le deuxième ouvrage publié par Saint-Pol Roux, qui le fit imprimer à compte d’auteur. / Notre exemplaire est enrichi d’un envoi de l’auteur (qui signe encore Saint-Paul Roux) à Rodolphe Darzens…”