La parole est à Saint-Pol-Roux : “Notations d’un pèlerin sur la notion de patrie”

NOTATIONS D’UN PÈLERIN SUR LA NOTION DE PATRIE

 

Vivant hors le Temps et l’Espace, l’esprit du poète, citoyen de l’Éternité, n’a point de patrie.

Ou bien, les patries, il les a toutes.

Or toutes point.

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Tracer des bornes, c’est imposer des bagues, des bracelets, des colliers, des ceintures, (formes souriantes de la chaîne) à la vierge et libre Terre que tatoueront enseignes et drapeaux.

Revenir aux bornes naturelles !

Suffisaient aussi les climats : purs creusets de saisons, de costumes, d’idiomes…

Univers : union, unité.

La rivière, la forêt, la mer, le mont, cela dispose, coordonne, lie.

La haie, le mur, la frontière, cela désordonne, indispose, sépare.

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Nulle digue humaine ne doit insulter l’horizon, barrer l’air et le rayon, car lorsque passera la théorie des pèlerins, vives figurines de Dieu, elle se trouvera violée par la pierre dressée comme un blasphème et par la porte close.

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De l’institution du voisin émanent le jaloux et l’hostile.

La première frontière provoqua le premier assaillant, comme la première défense engendra le premier péché.

Il n’y a point de mesures.

Il y a la liberté.

Il n’y a ni vertus ni vices.

Il y a l’Humanité qui se manifeste à travers la vérité.

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Laisser, tels des aigles dans l’éther, le vice et la vertu.

Libres, le vice et la vertu évolueront à la longue pour la noble satisfaction de l’équilibre universel.

Alors que le vice s’affinera jusqu’à la vertu, la vertu se flétrira jusqu’au vice.

Le fumier monte en fleurs et fruits ; le fruit et la fleur tombent en fumier.

Rome, nœud de sacripants à l’origine, réalise la Vertu Romaine à l’époque païenne et le Pape de Lys à l’époque chrétienne ; au contraire l’Égypte somptueuse des Pharaons n’est plus qu’un tas de ruines à la base desquelles daignent seulement s’arrêter désormais la bosse du dromadaire et la magistrale dentition de ce requin pensant qu’est l’Anglais voyageur.

Tout comporte progrès et dégénérescence.

Né dans une île Napoléon meurt dans une île.

Napoléon le Plusieurs !

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La frontière est l’expression la plus grossière de la Ligne, parente concrète de la Loi.

Comme si la Perfection était limitable. Comme si le Malheur et la Félicité avaient des bornes !

L’Horreur pas plus que la Beauté.

Sois horrible et sois beau, jouis et souffre, incommensurablement à la Dieu.

Il ne faut limiter que le moindre, parce que moyennant les lignes le misérable acquiert ce qui manque à sa vague inanité ; mais cela reste quand même le moindre.

Une chose illimitée, alors même que l’hypothèse puisse l’évaluer minime à la façon d’une fourmi est plus grande que notre planète, car notre planète est limitée.

Le mot sera toujours plus considérable que ce qu’il suggère.

Copie l’absolu, cette architecture d’absence, élargis ta propre sphère, sois le centre de l’univers et que l’univers soit l’orfèvrerie sortie de ta motion.

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La frontière est issue de l’égoïsme, de l’égoïsme au ventre énorme, énorme à ce point qu’on ne compte que peu de tels ventres ici-bas.

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Si cet égoïsme peut se nommer individualisme du corps, l’individualisme de l’âme ne saurait être égoïsme de l’âme ; l’égoïsme des médiocres n’est donc pas l’individualisme des médiocres dont le nombre va grandissant.

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Voici l’ère de l’individualisme succéder à l’ère de l’égoïsme, et l’esprit sublime au ventre énorme.

L’humanité ira maigrissant jusqu’à n’être plus qu’esprit.

Le ventre disparu, plus ne sera besoin de lignes.

Et puisque l’âge aboli de la cuirasse ne hante plus que les musées, pourquoi maintenir dorénavant la frontière, monceau de cuirasses soudées ensemble ?

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L’esprit n’a besoin ni de vêtements, ni d’abri, ni de cage ni de refuges, ni de prisons, ni de temples… Autant de poids qui font ramper et rendent vaines les ailes de l’espérance.

Il faut à l’esprit l’indépendante immensité, douce ou terrible.

Quand l’esprit universellement triomphera, la matière aura vécu.

En vérité la matière n’existe que par notre volonté, elle n’est que la projection de nos appétits brutaux.

Saint-Pol-Roux

• “Notations d’un pèlerin sur la notion de patrie”, inédit du vivant de l’auteur, a été recueilli dans : Saint-Pol-Roux, De l’Art magnifique, texte établi par Gérard Macé, Mortemart, Rougerie, 1978, p. 81-85.

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